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Le Forum Planète bleue : Lors du voyage d’études que nous avons organisé avec nos amis vietnamiens en juin 2015, dans le delta du Mékong, nous avons pu constater un développement important de fermes et de bassins aquacoles, et nous avons pu nous rendre compte de la volonté du gouvernement vietnamien de mettre en oeuvre et de généraliser les pratiques de développement durable et ce, malgré les difficultés rencontrées. Pouvez-vous nous en dire plus au sujet des projets en cours, notamment celui concernant la production de crevettes ?  


Pr Nguyen Ky Phung : Grâce à une politique volontariste de développement mise en œuvre depuis plusieurs décennies, l’aquaculture et plus précisément la production de crevettes représente une part de plus en plus importante dans nos activités.


La production de crevettes est même en passe de jouer un rôle important dans le développement socio-économique des zones côtières du Vietnam, en général, et dans le delta du Mékong, en particulier. J'en profite pour rappeler que le Vietnam a décidé de mettre en œuvre  tous les moyens pour parvenir à une production qui soit une référence au niveau international, que ce soit en matière de qualité ou au niveau de la continuité de la production.


Le Forum Planète bleue : La consommation mondiale de crevettes a généré un marché très concurrentiel, notamment en Asie du Sud Est. Comment comptez-vous vous démarquer de vos concurrents ?


Pr Nguyen Ky Phung : L'industrie de la crevette au Vietnam est en marche grâce à une volonté de tout mettre en œuvre pour parvenir à des procédés de développement durable.


Pour mener à bien cette intensification de l'élevage de crevettes, nous travaillons à l'amélioration et au développement de vastes zones d'élevage extensif, sur lesquelles sont mis en œuvre des systèmes agricoles intégrés qui permettent une rotation de la culture de riz et de l’élevage de crevettes sur une même parcelle.


En l’état, les objectifs de 630.000 hectares de bassins aux normes environnementales et de 700.000 tonnes de production prévues d'ici l'an 2020 seront atteints.


Le Forum Planète bleue : Certes, mais l’élevage de crevettes est sujet à des difficultés qui rendent la production aléatoire en fonction du climat, des polluants et des maladies spécifiques. Comment comptez-vous résoudre ces problèmes ?


Pr Nguyen Ky Phung : Notre objectif dans un proche avenir est d’obtenir une certification pour l'élevage de crevettes aux normes nationales et internationales (pas de médicaments comme certains antibiotiques autorisés et utilisés par nos concurrents, pas de polluants transférés de l'eau à la crevette ...).


Néanmoins, il faut reconnaitre que le taux de survie de la crevette n’est actuellement pas toujours très satisfaisant et la filière a également été confrontée à des problèmes graves consécutifs à des maladies (syndrome de mortalité précoce, WhiteSpot et autres maladies) qui entraveront encore la production pour plusieurs années.


Pour autant et en l’état de nos recherches, il semble que les problèmes provenaient essentiellement de 2 facteurs:


> Les agriculteurs au Vietnam doivent importer des larves de crevettes et ils n’ont pas un  accès à des tests rapides et de haute qualité pour vérifier la qualité des larves importées avant utilisation. La contamination initiale générée par les larves malades a ainsi conduit à 100% de mortalité dans la plupart des cas.


> La qualité de l'eau utilisée dans la plupart des petites exploitations est de qualité médiocre et elle n'est pas contrôlée de façon suffisante, sachant que  le traitement de l'eau utilisée dans les exploitations agricoles - pour éviter la contamination par des bactéries et/ou des polluants - ne figure pas la plupart du temps dans leur procédé d’élevage.


Pour répondre à ces problématiques, le Département des Sciences et de la Technologie HCMC (DST HCMV), que je dirige, l'Institut de recherche pour l'aquaculture n° 2, le Centre de services d'analyse et d'expérimentation HCMC (CAS HCMV), en collaboration avec des entreprises françaises (dont ENKI Search qui est spécialisée dans le traitement de l'eau et des pollutions) ont mis en oeuvre des mesures pour fournir aux éleveurs de crevettes des régions et districts de Can Gio et Can Tho des produits innovants, peu coûteux  et de qualité, qui leur permettront d’avoir des réponses et des solutions aux problèmes qu’ils peuvent rencontrer.


Tout cela n’a été possible que grâce au soutien financier du gouvernement vietnamien qui nous a permis de montrer l'efficacité de produits innovants et éco-compatibles dans une ferme expérimentale dans le district de Can Gio !


Le Forum Planète bleue : La qualité des produits importés en Europe est l’objet d’une attention de plus en plus accrue de la part des consommateurs. Quelles sont vos objectifs pour répondre à cette attente ?


Pr Nguyen Ky Phung : Pour répondre à ces objectifs de qualité et de traçabilité, nous avons demandé à notre partenaire ENKI Search de mettre en place une plate-forme de production avec pour objectifs de permettre de développer un élevage de crevettes sans antibiotique et à des coûts inférieurs à ceux des concurrents.


Il faut aussi noter que le coût et la facilité de mise en œuvre des technologies innovantes et respectueuses de l'environnement sont particulièrement appropriés pour le marché vietnamien.


Pour atteindre ces objectifs, la plate-forme de production contiendra un laboratoire de microbiologie en mesure d'identifier en moins de quatre heures la présence de pathogènes dans les larves ou les élevages de crevettes, ce qui nous permettra de produire, spécifiquement au Vietnam, des crevettes larvaires exemptes d'agents pathogènes.


Ce laboratoire sera par ailleurs capable de mesurer, entre autres contaminants émergents, les produits pharmaceutiques, les pesticides, les perturbateurs endocriniens... qui ont un impact significatif sur la mortalité et la qualité de la crevette, ce qui nous permettra par conséquent de répondre à la demande de qualité réclamée par la plupart des pays importateurs.


Enfin, dans notre volonté de développer une économie circulaire, nous avons souhaité que notre plate-forme permette l’implantation d’unités  de production fabriquant du biochar à partir de paille de riz vietnamien, qui est peu coûteuse et disponible en grande quantité.


Le biochar est un charbon actif obtenu par pyrolyse de la biomasse et c'est un matériau particulièrement polyvalent en raison de sa capacité à piéger les polluants organiques, ainsi que des métaux lourds ou des gaz. Ce biochar produit localement nous permettra ensuite de traiter l’eau des bassins et viendra compléter progressivement la gamme de produits de traitement.


Le Forum Planète bleue : La COP 21 vient de s’achever sur un constat unanime. Fortement touché par les conséquences du changement climatique - comme nous avons pu nous en rendre personnellement compte dans la région de Mui Ne -, le Vietnam met en œuvre de diverses mesures pour s’y adapter. En conclusion de cet entretien, pouvez-vous nous expliquer dans les grandes lignes quelles sont vos engagements ? 


Pr Nguyen Ky Phung : La stratégie de développement du Vietnam pour la période 2011-2020 a posé le principe de l’exigence d’un développement rapide et durable.


Grâce à des programmes d’assistance à la réaction au changement climatique, le Vietnam a investi dans des modèles d'adaptation à ce phénomène, comme la plantation de mangroves dans les zones du littoral, la construction de digues en bord de mer…


La promulgation et l'application de politiques et de lois en ce domaine ces dernières années ont également jeté les bases pour les ministères, services et localités, en particulier dans les provinces du delta du Mékong, ​d'une m​ise en œuvre effective des mesures de résilience au changement climatique.


Ayant activement participé à la 21ème Conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (COP 21) à Paris, le Vietnam est l'un des 150 pays ayant pris des engagements nationaux conjointement aux efforts de la communauté internationale en vue de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés Celsius d’ici à 2100.


Enfin, il faut souligner que le Vietnam a affirmé son fort engagement dans la réponse au changement climatique, a accéléré le processus de négociations et a adopté l'Accord de Paris. Et malgré des conditions encore difficiles, il s’est engagé à diminuer de 8 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, et d'abonder le Fonds vert pour le climat d’un million de dollars pour la période 2016-2020.



Propos recueillis par Jean VAL



  

Pr NGUYEN KY PHUNG

Directeur du Département des sciences et de la technologie de Ho Chi Minh Ville.

Directeur de l'Institut de l'Informatique.

Doyen du Département management de la mer et des iles, Université des ressources et de l’environnement.

Membre du Comité Exécutif de l’association Vietnamienne pour l’évaluation des impacts environnementaux.



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Interview réalisée le 20/01/2016

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